Entretiens & Interviews
Il n’est pas donné à tout le monde de rentrer dans le cercle des créatures façonnées par Gainsbourg, des Lolitas qui lui ont toujours échappé pour lui revenir sous forme d’amour pur. 5BIS est un roman initiatique, le moment où les petits boudins se transforment en femmes sous l’oeil de l’esthète, le premier, le dernier à avoir cru en elles. C’est donc avec une immense fierté et un zeste d’orgueil que je vous laisse découvrir leurs réponses.
Aude, tu es devenue psychopraticienne en psychologie énergétique. Avec le recul, pourrions-nous dire que ta relation avec Serge était une relation empirique et passionnelle, aussi constructive que destructrice ? 2 êtres cassés qui servaient de béquilles à l’autre.
Aude : Destructrice non. Bien au contraire. Mais passionnée et passionnante. Et constructive et enrichissante évidemment, même si je l’ai réalisé bien plus tard.
Ce qui est certain aujourd’hui c’est que je pense qu’il est à l’origine de ma reconversion dans l’accompagnement thérapeutique. C’est une évidence.
Déjà à l’époque, notre « mission »... Cliquez ici pour lire la suite de l'entretien sur le site de Bruce Tringale (Octobre 2020)
Vous avez donné beaucoup d’interviews pour 5 bis, vous n’en n’avez pas marre de répondre aux questions ?
Non, pas du tout… C’est un peu comme une "mission" pour moi...
Quelle est celle qui revient le plus souvent ?
On me demande souvent si je suis retournée au 5 bis depuis sa disparition… Et la réponse est non, hélas… (note: visite de la "Maison Gainsboug"en Septembre 2023).
15 après la disparition de Serge Gainsbourg, vous avez écrit « 5 bis » de peur d’oublier tout ce que vous avez vécu durant ces 5 belles années.Ce travail a t’il été plutôt salvateur ou a-t’il réveillé des douleurs que vous auriez préférées laisser enfouies ?
L’écriture n’a pas été douloureuse, au contraire. Me replonger dans ces années que j’avais enfouies a été très heureux. Et je me suis rendu compte à quel point j’avais envie de lui rendre hommage et aussi combien cette histoire, mon histoire, était belle.
Quelles différences avez-vous constatées entre la première sortie de votre livre en 2002 et celle en 2011 ?
Entre temps Internet s’est démocratisé et Serge Gainsbourg est devenu encore plus culte…
Effectivement, Serge est devenu, en quelques années, une sorte de "mythe" et j’ai découvert l’ampleur du phénomène avec internet. Et j’ai pu ainsi faire de belles rencontres.
Votre livre vous a permis de rencontrer beaucoup de monde, de recevoir de nombreux témoignages de lecteurs, quelle fut la plus belle rencontre ?
Il y en a tellement… J’ai reçu des lettres magnifiques, des témoignages bouleversants et j’ai rencontré des personnes qui font partie de mes amis aujourd’hui et qui me sont devenues très chères.
Le surnom « Gaingain » c’est de vous ou d’Anne Christine ?
Il me semble que Bardot l’appelait ainsi aussi. Ca le faisait marrer ?
Je ne me souviens plus d’où est venu ce surnom. Peut-être grâce à Bardot! Il aimait ça, oui.
Et vous, comment vous appelait t’il ?
Il m’appelait " la morfale" (j’avais un bon coup de fourchette) ou "Aude Roze" (avec un Z, très important pour lui!).
Pourquoi Anne Christine est plus discrète que vous sur votre histoire d’amitié avec Serge ?
Je pense qu’AC a choisi dès le début de se faire discrète car c’est moi qui étais « fan », qui connaissais tout sur lui. Elle ne savait pas qui il était lorsque je lui ai demandé de m’accompagner. J’ai donc naturellement pris la parole, j’avais tellement de choses à lui dire. Peut-être que je l’ai éclipsée ? Il faudrait le lui demander. Je serais ravie qu’elle s’exprime à ce sujet.
Quand vous pensez à lui, qu’est-ce que vous revient le plus souvent ? Ses rires ou ses larmes ?
Les deux, indéniablement… Le passage du rire aux larmes chez lui pouvait être fulgurant. Même si aujourd’hui j’ai tendance à me rappeler de ses larmes, de sa tristesse, lorsque je revois Anne-Christine, je réalise à quel point nous riions. Je n’ai jamais ri dans ma vie autant qu’avec ces deux personnes-là. Il était d’une drôlerie infinie !
Les grandes victoires pour vous c’était quand vous arriviez à le faire sourire et oublier la tristesse dans laquelle il plongeait souvent. S’il était encore parmi nous aujourd’hui, avec la maturité que vous avez, pensez-vous que vous sauriez mieux vous y prendre pour apaiser ses douleurs ?
Même si vous et Anne Christine avez beaucoup fait pour lui du haut de votre adolescence.
Je pense que je comprendrais beaucoup mieux aujourd’hui ses peines et l’écouterais sûrement, comme j’aime le faire avec les autres. Mais en même temps, à l’époque, comme je ne comprenais pas tout ça, je ne pensais qu’à rire et le faire rire. Et c’était évidemment la meilleure façon de le garder heureux. Je n’aurais pas pu faire mieux. Et c’était ce qu’il aimait chez nous.
Est-ce que cette tristesse là dont il souffrait n’est pas l’apanage des personnes malades, victimes de l’alcool ?
Non, je dirais que c’est surtout sa sensibilité à fleur de peau, sa clairvoyance, sa lucidité, la peur de la mort et beaucoup d’autres choses qui le rendaient triste à pleurer. Il hante vos nuits, vous rêvez souvent de lui.
Est-ce que vous lui parlez tout haut quand vous êtes seule ?
Non, mais je pense à lui tellement et furieusement fort qu’il doit m’entendre, ça ne peut pas être autrement !!!!!
De qui vous parlait-il le plus ? De Jane ? De Charlotte ? De Lulu ? De Bambou ? De Bardot ? De Nana ?
De Jane, oui beaucoup. Concernant Charlotte, elle faisait partie du quotidien, de même que Lulu ou Bambou et c’était moins douloureux. A propos de Bardot, c’était assez anecdotique, ou alors lorsqu’il parlait de ses amours perdues… Et Nana, lorsqu’il l’évoquait, c’était dans des moments de grand désespoir. En même temps que ses parents.
Vous avez rencontré Dutronc et Hardy chez Serge. Comment était Françoise dans l’intimité avec Serge ?
Son témoignage à son propos dans « Le désespoir des singes » est touchant. Françoise était sa confidente. Ils s’appelaient extrêmement régulièrement, peut-être tous les 2-3 jours. Je pense qu’elle n’a jamais su qu’il mettait le haut parleur et que j’ai assisté à nombre de leurs conversations, parfois très intimes !!
Serge disait à propos de Françoise et Jacques qu’il avait très peu d’amis, qu’il pouvait les compter sur les doigts d’une seule main et qu’eux deux en faisaient partie. Je rajouterais Jean-Paul Belmondo également. Ils étaient très proches..
Avez-vous toujours les cassettes que vous avez volées chez lui, les cadeaux qu’il vous a offerts (dont le petit chariot en fer, la bague sertie de 3 Saphirs, l’hippopotame en peluche…), la première photo que vous avez faite de lui lors de votre toute première rencontre ? Quel est l’objet qui vous est le plus cher ?
Je n’ai pas conservé les cassettes ni même les films en super 8 que nous avions fait. J’avais également des enregistrements audio de lui (il m’avait offert un walkman enregistreur et je passais mon temps à enregistrer sa voix).
En fait, c’était anecdotique pour moi, ça ne comptait pas. Seul lui, sa présence m’importait. Mais j’ai toujours cette bague (qui a échappé à 3 cambriolages!), la peluche « Gaingain » et le petit chariot de fer, les listes de courses. Je n’attache pas d’importance aux objets, mais plutôt aux souvenirs.
Si je devais en choisir un, ce serait la dédicace 2Histoire de Aude Nelson".
Et puis aussi certains textes qu’Anne-Christine et moi lui avons inspirés. Cela a bien plus de valeur à mes yeux. Quant à la première photo, du premier jour, je l’ai toujours. J’aime le sourire qu’il me renvoie.
Quand Charlotte parle de la maison du 5bis, elle n’évoque jamais la chambre des Poupées mais l’écorché vif. L’écorché vous faisait-il peur ? Quels étaient pour vous les objets de la maison les plus intriguants ?
L’écorché me faisait peur, oui, je ne voulais pas le regarder. Le fauteuil dans lequel je m’asseyais me faisait lui tourner le dos et c’était tant mieux. J’aimais l’homme à tête de chou, qui était à ma droite, que je ne me lassais pas d’observer et qui avait l’air bienveillant. Il y avait tellement de choses à observer, c’était magique. Surtout lorsque nous écoutions de la musique. Cela me permettait de tout détailler, mémoriser. Je crois que je me souviens de tout, de chaque objet.
Avez-vous une ou des pièces dont les murs sont noirs chez vous ?
Non, j’aime trop la clarté. Et le noir est forcément lié à Serge.
L’odeur du 5bis à l’intérieur hante t’elle encore vos narines ? Est-ce votre madeleine de Proust à vous ?
Est-ce notamment celle-ci que vous recherchez dans votre quête à pouvoir retourner un jour à l’intérieur ?
Oui, je m’en souviens tellement. Oui, y retourner pour sentir à nouveau cette odeur, mais surtout l’atmosphère, les objets, le calme absolu, le bruit de ses Répetto glissant sur le carrelage, sa silhouette dansante entre les meubles. Il me manque cruellement. Et de plus en plus. Y retourner serait pour moi comme tourner une page, me libérer enfin. Lui dire au revoir. Et son odeur à lui ? Oui, j’aimais son odeur, son parfum, la douceur de son cou. Pour lui dire au revoir, lorsque je partais, je l’embrassais dans le pli du cou, c’était si doux. Et tendre.
Comment vivez-vous les célébrations des X années de sa disparition ? Chaque 5 années c’est la même histoire, les médias s’emparent de Serge et l’érigent toujours plus haut.
Est-ce que vous suivez ces célébrations ou avez-vous tendance à fuir ?
Je ne les fuis pas mais ne les recherche pas non plus. En fait, si je tombe dessus, j’essaie de faire en sorte que mes enfants les voient car comme je ne l’écoute plus, ni ne parle de lui à la maison, je voudrais quand même que mes filles le connaissent.
Suivez-vous les carrières respectives de Jane, Charlotte et Lulu aujourd’hui ?
Oui. De loin. Je ne recherche pas à les suivre mais il y a toujours quelqu’un pour m’informer !
Si vos routes ne s’étaient pas croisées, vous auriez été une personne différente aujourd’hui. Est-ce qu’il vous arrive parfois de vouloir exister sans lui ?
Oui bien sûr. Je trouve parfois cet « héritage » un peu lourd. Mais en fait non, ça me va bien, comme référence! et si parfois on ne s’intéresse à moi que pour ça, ce n’est pas grave, je prends!!!
Tout le monde n’a pas eu la chance d’être aimée, portée, soutenue et admirée par lui!!!!
Votre fille Lola a lu votre livre, qu’en a t’elle pensé ?
Je ne sais pas. Elle ne me l’a pas dit. Par pudeur, j’imagine. Mais elle a dit à mon mari qu’elle trouvait que j’écrivais très bien!
"5 bis" aura t’il une suite ? A écouter ou lire vos interviews, il y a tellement de choses qui ne figurent pas dans votre livre…
Je n’ai pas l’intention d’en faire une suite. Même s’il est vrai que j’ai tenu à raconter l’essentiel uniquement. Et puis cela me fait des choses à raconter lorsque je rencontre des lecteurs ou admirateurs de Serge!!! Avoir l’impression qu’il y a toujours à dire ou à raconter sur lui me plaît. Et puis parfois des souvenirs resurgissent, que j’avais complètement oubliés!
Si vous ne deviez retenir qu’une seule chanson : la dernière que vous écouteriez avant de partir ?
J’hésite entre "Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve" et "Dépression au-dessus du jardin".
Et pour finir, à choisir, avec ou de Serge vous préfériez :
– Chemise en jean bleu claire ou chemise militaire ? Chemise en jean bleu clair et jean troué!!!!
– Gitanes ou Pastis ? Gitanes et zippo, bien plus élégant et moins dangereux. Chaque fois qu’il allumait une cigarette était un réel spectacle pour les sens (ses jolies mains, l’odeur et le bruit du zippo)
– La chambre au 5 bis ou la suite du Raphaël ? La chambre du 5 bis qui offrait une promiscuité que ne permettait pas le salon, et puis son écran géant, le dessus de lit si doux, le lit si grand, les pas légers de Serge sur le tapis…
– Jane ou Bambou ? Sans hésiter Jane. J’ai rarement vu dans l’entourage de Serge une personne aussi bienveillante. Envers lui et envers moi.
– Love on the Beat ou You’re Under Arrest ? You’re under arrest. Parce que Anne-Christine et moi lui avons inspiré. Parce que j’étais présente tout au long de la composition, de l’écriture, et aussi parce que j’ai participé (activement !!!) à l’élaboration de cet album. Il est donc forcément fort en émotions pour moi.
– Salles de concert ou plateaux télé ? Les deux. Mais pour des raisons différentes. J’aimais le voir en concert car j’étais fière de lui, fière d’être aimée par lui. Et les plateaux TV, j’aimais ça car il m’y emmenait et je pouvais m’asseoir par terre sous les caméras et sentir son regard pendant tout l’enregistrement. C’était inoubliable. Même si je préférais l’avoir pour moi seule !
– Chat perché ou lancer de terre sur les passants ? J’aimais tellement jouer avec lui à chat perché, probablement parce que ça le rendait tellement heureux. Il pouvait alors redevenir le petit garçon qu’l n’avait pas cessé d’être.
– Un tour en camion poubelle avec les éboueurs ou dans le panier à salade avec les flics ? Le camion-poubelle bien sûr!!!
Quelques heures avec Aude
Samedi dernier, j'ai rencontré Aude Turpault. Je vous ai récemment parlé de son roman autobiographique, 5 bis, où Aude partage un peu de ses années passées dans l'intimité de Serge Gainsbourg. Ce livre est paru pour la première fois en 2002, mais il vient d'être réédité dans une nouvelle collection, à l'occasion des 20 ans de la mort de Gainsbourg. Il y a déjà longtemps (et parce que nous nous connaissions petites filles et adolescentes), j'avais proposé à Aude un entretien pour qu'elle nous raconte ici le cheminement qui l'a conduite à écrire ce livre. Voici donc, retranscrite du mieux que j'ai pu (une grande première pour moi l'interview, entre mon magnéto qui plante et l'horreur d'entendre ma voix sur la bande ;-), la matière de notre échange.
Ma première question est toute simple : pourquoi avoir eu l'envie de rendre cette histoire publique ?
Je n'y pensais pas. Tout est parti d'une sorte de contrat avec Gilles Verlant (biographe de Gainsbourg) qui m'avait demandé de lui raconter une anecdote sur Serge chaque jour. Petit à petit, cela a pris de l'épaisseur. Lorsque cela a constitué quelques pages, Gilles m'a soufflé l'idée de le publier.
L'écriture a-t-elle été laborieuse, difficile ou au contraire évidente et salvatrice ?
Très facile en fait. J'écrivais la nuit, j'ai tout écrit en un mois, sans souffrance. C'est venu naturellement. Par contre, cela n'a pas été simple de retravailler le texte par la suite pour la réédition. J'avais envie de retirer tout ce qui parlait de moi. Du coup, je n'ai relu que les passages qui le concernent lui, les seuls sur lesquels je suis intervenue, parfois, pour la réédition.
Pourquoi rédiger à la troisième personne ? Pourquoi ne pas employer Je ?
Je n'y arrivais pas, mais j'ai essayé, j'ai commencé avec Je. Et puis j'ai trouvé que c'était impudique. Le Elle me permettait un détachement et m'autorisait à raconter des choses que je n'aurais pas racontées à la première personne.
Le fait que ce soit "Elle" te permettait-il de te regarder avec plus de distance ? C'était quand même la vérité ?
De toute façon, c'est la vérité, mais comme je suis quelqu'un d'extrêmement réservé, il a fallu que je me fasse violence et le Elle me permettait cette distanciation.
Tu dis que tu es réservée, mais tu es quand même allée sonner chez Gainsbourg !
Oui, mais c'est justement le paradoxe des grands timides. Je ne l'aurais pas fait aujourd'hui. J'avais 13 ans et à cet âge on peut se permettre pas mal de choses. J'avais un côté très chipie, très sûre de moi, que j'ai perdu depuis ... Je n'avais peur de rien à l'époque, vraiment.
Et avec ton amie, A-C, vous vous êtes décidées à y aller comme ça toutes les deux, comment ça s'est passé ?
Cela faisait plusieurs semaines qu'on y allait toutes les deux sans sonner. Devant chez lui, il y avait toujours des fans, donc on s'asseyait et on discutait entre fans. Un jour, il pleuvait, on n'a pas eu d'autre choix que de sonner à la porte et... il a ouvert.
Et alors là ?.
Là, grosse surprise, j'ai demandé à faire des photos de lui et il a accepté parce que ça l'amusait de voir une gamine de 13 ans avec des petites fossettes qui voulait le prendre en photo. Et puis, il est reparti. J'ai sonné à nouveau en me disant "je ne peux pas en rester là" et je lui ai dit que j'aimerais photographier l'intérieur. Il m'a trouvée gonflée, ça l'a amusé et il nous a fait rentrer, on a visité. Je lui ai demandé si on pouvait rester pour parler un peu. Et on est restées des heures. On a parlé de tout, de rien, il fallait surtout que je l'intéresse. Dès que je sentais que ça retombait, je relançais la discussion.
Tu n'avais pas envie que ça s'arrête en fait ...
Je ne voulais pas que ça s'arrête, j'avais envie que ça dure, qu'il se dise que peut-être ce serait bien qu'on se revoie ... Du coup, j'ai fait mon maximum, j'ai tout donné ce jour-là. Et le lendemain, j'y suis retournée et ça l'a amusé. Et après, c'est parti pour plusieurs années.
Combien de temps alors en tout ?
Cinq ans.
Jusqu'à sa mort ou avant ?
Jusqu'à sa mort. Oui, la fin du livre n'est pas la vraie fin.
Voilà, parce qu'à la fin du livre, on a l'impression que vous vous perdez de vue ... Est-ce que c'est un peu le cas quand même ?
Pas du tout. Je trouvais que ça n'apportait rien de savoir où j'étais et comment j'ai appris sa mort. Je préférais finir sur une jolie image, comme si on s'était mis d'accord. C'est une fin un peu plus "romantique" que la vraie car je l'ai vu peut-être trois jours avant et je l'ai eu au téléphone très peu de temps avant sa mort. On n'a pas eu le temps de se dire au revoir. Je ne trouvais pas cela joli à raconter et puis je voulais garder nos derniers moments pour moi. Il n'y a donc que la fin qui soit romancée.
Et tu sentais qu'il allait partir ?
Non, je n'ai rien senti, malgré le fait qu'il nous disait qu'il était malade, qu'il allait se faire opérer, qu'il était faible. Pour moi, il était immortel. L'hôpital, c'était normal. Je ne m'inquiétais pas plus que ça et lui faisait en sorte de ne pas nous inquiéter non plus. Vers la fin, j'y allais toute seule, on n'était que tous les deux. C'était plus tendre, plus respectueux, différent du début mais je ne mettais pas ça sur le compte de sa maladie. Je ne me suis rendue compte de rien.
Pour les scènes de dialogues, comment as-tu procédé ? Tu notais ou tu as une bonne mémoire ? Est-ce que cela te semble proche de la réalité ?
Je n'ai travaillé que sur ma mémoire et sur celle d'Anne-Christine. Quand j'avais des doutes, je lui demandais et on en discutait toutes les deux. Mais il y a beaucoup de choses qui sont restées marquées, alors que j'ai pourtant une mémoire de poisson rouge ! Mais pour tout ce qui a trait à lui, je n'ai rien oublié. A des mots près ou des dialogues qui me sont restés ancrés. Mais grâce à Anne-Christine. Sans elle, cela aurait été plus difficile.
Et Anne-Christine, elle n'avait pas envie de raconter ?
Non. Je lui ai demandé d'intervenir à plusieurs reprises, je me suis servie parfois de ses mots à elle. Même aujourd'hui, quand elle a des appels de journalistes pour témoigner, ce n'est pas qu'elle ne le veuille pas mais elle sent qu'elle n'y arrivera pas.
Vous êtes toujours en contact ?
Oui, on ne se voit pas beaucoup mais on est liées par cette histoire et on le sera toujours. C'est quelque chose de tellement fort et on ne peut partager ça que toutes les deux.
Oui, alors justement ... J'ai souvenir de nos étés en Vendée où tu ne nous en parlais pas, même si nous avions su pour ton rôle dans Stan the Flasher. Je me souviens avoir découpé des photos de toi dans Première ou Studio. Pourquoi ne nous as-tu rien dit ?
Je n'en parlais à personne. Au collège ou au lycée, ça se savait. Je me souviens d'une fois où il m'avait dédicacé un jean et je l'avais mis au collège, forcément les réactions n'étaient pas toutes positives... Mais je n'avais pas envie d'en parler, ça nous appartenait. C'était déjà assez difficile. Et puis, je n'aime pas être au centre de l'attention, si je pouvais disparaître, souvent, je préférerais. Et surtout je n'avais pas envie qu'on me traite de menteuse. Mais parfois, j'emmenais des copines chez lui.
Ah oui ? Et il était content ?
Ca l'amusait, il était flatté, il faisait un peu son coq. Mais je pense qu'en fait cela ne lui plaisait pas plus que ça. Une ou deux fois, il m'a dit qu'il fallait que j'arrête de venir avec d'autres. Mais il savait que cela leur faisait plaisir aussi. Je ne revois plus ces filles aujourd'hui, mais je pense qu'elles se souviennent de Serge.
Quand tu écrivais, pensais-tu à des lecteurs en particulier ou écrivais-tu pour toi ?
J'écrivais juste pour moi et pour Anne-Christine. Je ne pensais pas être publiée. Si je l'avais pensé, je n'aurais pas mis tout ça, en ce qui concerne ma vie personnelle.
Mais quand tu as su que tu allais être publiée, t'es-tu posé la question de retirer des choses ?
Oui, je me suis posé la question, bien sûr. Je ne savais pas comment mes parents allaient le prendre. Mais retirer tout ce qu'il y avait autour de cette histoire, cela aurait retiré tout ce qui est finalement la substance du livre. C'était important pour comprendre l'histoire.
Plusieurs fois dans le livre, tu évoques des moments dans le monde du show-biz (restaus, hôtels, bars, soirées). Quel regard portais-tu sur ce monde-là ? Quand tu y allais avec lui, qu'est-ce que tu en pensais ?
Cela ne me fascinait pas du tout. Ca ne me plaisait pas. Je me suis vite aperçue qu'il y avait beaucoup d'hypocrites, beaucoup de relations superficielles et j'avais le culot de le dire, ou plutôt de le montrer.
De quelle façon ?
Par exemple, si quelqu'un venait parler à Serge, je n'hésitais pas à lui dire que c'était un faux-cul et ça l'amusait. C'était tellement faux tout ça. Moi, ça me mettait en colère.
Et tu trouvais que lui jouait aussi un rôle ?
Ah oui, il en était très conscient. Dès qu'il y avait une tierce personne, il jouait un rôle. Il avait du mal à rester lui-même.
Donc, toi, tu as l'impression de l'avoir connu lui-même ?
Ah oui complétement. Vraiment. Sans masque, à nu, tout nu.
Et est-ce que tu avais conscience de vivre un truc fou, exceptionnel ?
Oui et non. Peut-être parce que les autres me le rappelaient mais sinon pas du tout. Moi je le traitais d'égal à égal. Quand il me parlait mal, je lui parlais mal, chose que je ne me serais jamais permise plus tard, quelques années après.
Tu penses que tu aurais eu plus de retenue ?
Plus de retenue, de respect. Là, je le renvoyais vite dans ses buts et d'ailleurs ça le calmait. Il se rendait compte qu'il pouvait parfois être irrespectueux.
Peut-être que c'est cela qui lui plaisait en toi ?
Je pense, oui. J'étais tellement brute, authentique, spontanée qu'il avait besoin de ça, c'est évident.
Est-ce que tu as des regrets ?
J'étais un peu peste. Parfois je lui disais des choses juste pour le blesser, quand lui n'était pas gentil non plus, ce n'était pas gratuit, mais j'ai pu parfois l'attaquer sur son physique et ça c'est zéro. Je regrette vraiment, en plus je ne le pensais même pas ! Je savais que cela le touchait. Et puis dire des bêtises sur lui quand il s'éclipsait parce qu'il avait un peu trop bu. Après, il m'a montré un boitier avec lequel il entendait tout ce qui se passait en bas dans la maison. Donc, il entendait tout ce qu'on disait de lui. Ca me peine aujourd'hui. J'aurais aimé qu'il sache à quel point il marquait nos vies mais je pense qu'il en était extrêmement conscient. Je suis persuadée qu'il savait que j'allais écrire quelque chose.
Vous parliez de l'écriture entre vous ? As-tu lu ce qu'il a écrit ?
Oui, je l'ai lu. On parlait de littérature, mais de ce que moi j'aurais pu écrire, non. Je reste persuadée qu'il se doutait de son influence.
Son côté pygmalion ?
Tout à fait. Le fait que je sois plus ou moins à l'origine d'un album, à l'époque, ça ne me touchait pas, j'étais contente sans plus. Aujourd'hui c'est énorme. Quand j'ai des moments de doute et j'en ai beaucoup, ça, ça m'aide vraiment au quotidien. D'avoir été aimée par lui, ça me rassure.
Dans le livre, quand tu grandis, tu dis que tu commences à t'intéresser aux garçons. Est-ce que tu en parlais avec lui ? Est-ce qu'il te mettait en garde ?
Non, mais il le vivait très mal, il était extrêmement jaloux. Il voulait être au centre de l'attention, de notre histoire à tous les trois et il n'y avait pas de place pour le reste.
Et lui, il vous parlait de ses histoires de coeur ?
Oui, nous avons été témoins d'une histoire notamment. Il se confiait beaucoup là-dessus. Il voulait un peu aiguiser notre jalousie, mais il se trouve qu'on ne l'était pas.
Par rapport à l'alcool, comment tu vivais cela, d'autant plus si l'on considère la relation avec ton père que tu mets parfois en regard dans le livre ?
Je le vivais mieux avec Serge parce que je l'ai toujours connu comme ça. La clope et le verre faisaient partie de lui. Rares étaient les moments où il était à jeun. Contrairement à mon père où j'ai vu la progression, la descente, où là je le vivais vraiment pas bien. Pour Serge, je l'ai connu ainsi. Cela ne me plaisait pas pour autant mais je ne me souviens pas lui avoir dit "arrête de boire". Mais quand il avait atteint un seuil limite et qu'il commençait à être agressif ou désagréable, en général on s'en allait. Mais je l'ai aussi connu dans des périodes de cure de désintoxication et là c'était pas drôle du tout. Il était malheureux, il pleurait beaucoup. C'était une souffrance de le voir comme ça.
Comment étiez-vous perçues par son entourage familial que tu connaissais, que tu as rencontré ?
Je ne sais pas. On avait l'impression d'être acceptées par Jane. Pour elle, on faisait partie des amis de Serge. Il n'y avait aucun mépris. Charlotte, c'était plus compliqué parce qu'on avait presque le même âge, mais je me mets à sa place, cela ne devait pas être simple à accepter. Je comprends ses réticences. Quant à Bambou, on évitait de la voir, clairement on ne s'aimait pas.
Au moment de la mort de Serge, tu as été beaucoup sollicitée, par la presse notamment. Je me souviens surtout d'un article de Paris-Match. Est-ce que tu trouvais cela important de témoigner ? Est-ce que tu le referais de la même façon ?
Oui, je le referais, de la même façon, car cela a été pour moi un moyen de faire mon "deuil", parce que si on ne m'avait pas reconnue un petit peu comme faisant partie de sa vie, cela aurait été difficile. Garder tout cela pour moi, ne pas en parler aux autres, c'était extrêmement lourd. Pouvoir parler de lui, même si j'avais du mal à le faire, c'était nécessaire. C'est pour ça que lorsque la biographie de Gilles Verlant est sortie et qu'il m'y citait comme faisant partie de la vie de Serge, cela a été énorme pour moi.
Tu t'es sentie légitimée, reconnue ?
La reconnaissance que cette histoire a bien existé et qu'elle était importante.
Et l'expérience de Stan the Flasher, qu'est-ce que tu en penses aujourd'hui ? C'est un petit rôle, de la figuration ...
Oui, complétement, alors qu'au départ je devais avoir le premier rôle. Il m'avait dit "tu auras le rôle de Natacha et Anne-Christine aura l'autre rôle". Ca ne s'est pas fait, pourquoi je ne sais pas, mais je ne lui ai pas posé la question. Mais j'étais heureuse de faire partie de l'aventure et aujourd'hui je suis contente parce que ce film, c'est comme une preuve. Je n'étais pas du tout jalouse envers Elodie Bouchez. C'est elle au contraire qui était très intriguée car elle voyait que je le connaissais très bien. Cela me donnait une importance. Et puis, avec le recul, je trouve qu'elle a beaucoup de talent, donc il a bien fait.
Comment tu définirais Serge, pour toi ?
Pour moi, c'était comme un second père, un ami, un frère.
Donc une relation presque familiale ?
Oh oui. J'ai très vite fait la différence entre l'artiste et l'homme, je ne prêtais plus attention au côté artiste.
Ca se sent dans ton livre, le côté artiste est assez peu évoqué. A un moment tu parles d'un concert. Est-ce que tu aimais aller le voir sur scène ?
J'adorais ça, mais comme pour un copain, je m'inquiétais de savoir s'il avait bien pris ses médicaments, s'il avait bien mangé, s'il allait se souvenir des paroles...
Et par rapport au devenir du livre, au suivi de ta vie, par rapport à tes filles, qu'est-ce que tu aimerais qu'elles connaissent de cette histoire ?
Lola (14 ans) vient de le lire. Cela faisait longtemps qu'elle voulait le lire, mais moi je ne souhaitais pas. Mon mari lui a offert un exemplaire. Je ne sais pas du tout ce qu'elle en a pensé. Elle ne m'a rien dit mais elle a dit à mon mari "Qu'est-ce qu'elle écrit bien maman". C'était important qu'elle connaisse cette histoire, parce que Serge je ne l'écoute pas, je ne le regarde pas. Quand elle avait 5 ans, Lola est rentrée de l'école en chantant Le poinçonneur des Lilas et je me suis dit que c'était dommage qu'elle passe à côté de ça. Pour elle, il y avait des photos de Gainsbourg à la maison et elle le considérait comme son grand-père, sans l'avoir connu. Mais au quotidien, je n'en parle pas. Quand des amis viennent à la maison et m'en parlent, ça me gêne. Même si j'aime de plus en plus parler de lui, mais ça a pris beaucoup de temps.
Et pourtant tu as écrit le livre ?
Oui, mais je me disais que ça suffisait. J'ai écrit et je n'avais pas envie d'en parler plus. Mais aujourd'hui je vois les choses différemment.
Mais je crois que ton livre est important pour nous montrer une autre facette de quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment mais sur qui chacun a sa petite idée, une idée pleine de clichés parfois, avec le clivage Gainsbourg/Gainsbarre, ce que toi tu dépasses dans ce livre.
Est-ce que tu aurais envie d'écrire autre chose ?
Oui.
Est-ce que tu travailles, est-ce que tu écris ?
Non. Je prends plein de notes, je m'éparpille, ça ne ressemble à rien. Ce qui me correspond le plus, c'est la forme courte, la nouvelle. J'en ai quelques-unes, il me manque le temps.
Pour finir, quelles sont tes chansons préférées de Serge ?
L'écouter, c'est au-delà de mes forces. Mais s'il fallait choisir, je dirais Dépression au-dessus d'un jardin, Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve et Le mal intérieur, chanson interprétée par Isabelle Adjani, un titre que je n'aimais pas à l'époque et qui m'émeut aujourd'hui.
Presse
Dans les cadeaux inattendus que j’ai reçu pour Noël, il y avait ce petit livre au curieux titre, 5 bis*, écrit par une certaine Aude Turpault. Elle me l’a adressé parce qu’elle avait, m’écrivait-elle, apprécié la chronique que j’avais consacré au très bon livre de son amie Lisa Balavoine et aimé particulièrement l’un des miens (merci, merci). Je l’ai lu d’une traite – une immense gourmandise que je réfrénais à chaque page.
5 bis est le numéro de la maison qu’habitait Gainsbourg rue de Verneuil. C’est là où, alors qu’elle a treize ans, pas jolie, s’autoportraitise-t-elle, voyoute, sœur d’un frère chiant, parents compliqués, on connaît, là où, en compagnie d’une copine (à deux on a moins peur), elle décide de sonner pour rencontrer celui dont elle est fan. Ma fanatique, dira-t-il.
Il ouvre.
Il ouvre sur une amitié qui va durer cinq ans, jusqu’au funeste 2 mars 1991. Une amitié magique et féroce ; cinq années qui verront le corps d’Aude devenir celui d’une adolescente puis d’une jeune femme tandis que celui de Gainsbourg deviendra celui de Gainsbarre. Une amitié parfumée à la gitane, noyée au Tanqueray ou au Noilly Prat, nourrie aux cantines des plus grands hôtels. Mais surtout une amitié rare, de celle qui constitue le socle d’une vie, qui empêche de tout à fait sombrer dans ses abîmes et laisse la trace d’un père qui manque, d’une histoire pas bien écrite au départ et qui fait le lit du chagrin, de la colère ou de quelques envies de meurtres, parfois.
Aude Turpault écrit remarquablement bien ces cinq années qui ont changé sa vie (et un peu la nôtre si l’on se souvient de tout ce que Gainsbourg a révolutionné) et achève sublimement son récit dans la douleur de l’enfance qui s’efface et s’enfuit. Il faut bien que les choses disparaissent pour que nous ayons la certitude qu’elles ont existé.
Dériveur rétrospectif, j’ai souvent péleriné rue de Verneuil, regrettant de n’avoir pas osé actionner la sonnette du 5 bis.
J’aurais voulu connaître la bibliothèque aperçue par Marie-Dominique Lelièvre (lire Gainsbourg sans filtre, chapitre 10, Flammarion, 2008) et toucher des yeux la maison imprégnée de réminiscences littéraires : Contes de Grimm, vieux papiers de Mallarmé, Benjamin Constant, Stendhal, Plancy, Nodier, Hoffmann, ces éditions de Charles Dickens qui me fit entrer en littérature.
Au lieu de cela, je suis resté sur le seuil et c’est sur le seuil que je contemple souvent les photographies de Samuel Veis, celles du graffiti spontané qui ornent le mur comme un manteau. Connaissez-vous Le mur de Gainsbourg (EST, Samuel Tastet Éditeur, 2009) ?
Aude Turpault a passé le seuil. Elle avait 13 ans. C’était en décembre 1986. L’adolescente n’avait pour vade-mecum que sa passion et sans doute un peu plus, la recherche d’un père, l’architecte des abîmes, celui qui fonde une foi dès lors que l’art est le recours. Avec une copine, elle tente le passage de la douane. Elle tremble. La porte s’ouvre. Les deux filles sont admises à la pédagogie des fantômes du souvenir, au luxe qui éclabousse, à des fastes d’effondrement.
Ce sont les cinq dernières années d’une vie qui s’anesthésie dans le grand shaker du néant. Aude Turpault est le témoin d’une déréliction. Elle n’argumente pas. Elle décrit, comme une épiphanie, des jours tendres, le naufrage et la bonté, la dérive d’un homme-enfant pris à la gorge par la défaite de l’art. Un petit livre immense qui serait comme une réponse aux Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke.
Il aurait soixante-quatorze ans. Elle, elle en a vingt-neuf. Sur lui, tout a été dit. Sur elle, possible que ça commence. Probable qu’elle rentre dans le cercle médiatique qui a effeuillé sa tête de choux à lui.
Elle a rencontré Gainsbarre comme on tombe sur le bonheur : en frappant à sa porte. C’était au 5 bis, rue de Verneuil, Paris VIIe.
Tout a commencé en décembre 1986. Une histoire qui durera cinq ans.
Issue d’une famille qui se prévaut de n’aimer « que les garçons », elle est le vilain petit canard. "Personne chez elle ne lui demande rien. Rien n’est grave à son âge". Elle a treize ans. Petite Lolita des faubourgs, elle ne connaît que la violence et la solitude que son amie A.-C. tempère. Quand on désespère, si jeune, on rêve autant qu’on peut. On aspire à l’inaccessible. Pour elle et sa copine, l’échappatoire s’appelle Gainsbourg. À trois, ils iront d’hôtels luxueux en concerts. Le bohême Rock’n Roll. Étalage de billets de banque, virées en taxis, éclats de rires : jouer avec la vie comme les gosses s’amusent en compagnie d’amis imaginaires. Profiter du père Noël tant qu’il est là. Se marrer, tant qu’on est en vie. Désinvoltes, jusque dans les sentiments. Cacher sa misère, « le sourire plein de larmes ».
Chez elle, les hommes ne pleurent pas. Au 5 bis, papa Gainsbourg ne se retient pas. À l’opposé de cette image de monstre qui lui colle à la peau (image qu’il a cherchée mais qu’il ne supporte pas), il se montre tendre, angoissé, sensible à l’excès : le revers légitime des gens apparemment trop sûrs d’eux dans la provocation.
Les parents des deux petites ont peur, ne comprennent pas. Mais qui pourrait saisir cet amour à trois à la fois charnel et chaste, salvateur et pernicieux ? "On" passe à côté, "on" crache sur eux, "on" se moque. Mais de "on", on s’en fout. Tant pis si les autres n’ont pas droit au bonheur singulier des passions pures.
5 ans, comme 5 bis : voici le premier roman d’Aude Turpault, qui parcourt une deuxième fois ces cinq années qui l’ont grandie. Coup marketing ? La sortie du livre ne correspond à aucune date commémorative. Coup éditorial ? Aucune révélation « sulfureuse ». La pudeur est telle qu’elle n’évoque même pas son nom : les deuxièmes pères, on ne les appelle pas par leur prénom. One shot déguisé ? Plus qu’un témoignage, Aude Turpault nous livre une narration aux personnages travaillés. Le style est sans détour : limpidité et lucidité : « Elle se parfume et se maquille pour être moins seule ». Touchant comme un songe de petite fille. L’humilité en plus : si tout le monde connaît la fin du chanteur-auteur-compositeur-esthète-maudit, Aude Turpault n’hésite pas à clore sur les mots d’une autre.
En 1998, avant d’écrire la chanson La fan de sa vie ("Puisque sa vie te rassure / Et que la tienne est trop dure"), Zazie était déjà l’auteur d’un hommage à Gainsbourg intitulé C’est comme ça ("Mieux vaut taire le mal qu’on a / Quand l’autre s’en va / Je ne dirai plus un mot de toi / C’est mieux comme ça").
On se dit qu’aucune plume n’est de trop. Que chaque texte répond à l’autre. D’abord fan puis amie du génie du « genre mineur », Turpault est avant tout de celles qu’on aime pour elle-même.
Requiem pour un bon
Le titre fait référence à l'adresse de la rue de Verneuil, dernier sanctuaire de l'homme à tête de chou, dans la vie duquel la narratrice s'est inserrée. Âgée, lors de sa rencontre avec Gainsbarre, de 13 ans, Aude Turpault en a aujourd'hui 30. Sans révélation libidineuse ni déclaration sulfureuse, le récit d'aude Turpault montre Gainsbourg au crépuscule de sa vie sous un autre jour : un être fragile, angoissé, un compositeur esseulé qui s'amuse à jouer au Père Noël avec une "lolycéenne" perturbée. Un texte lucide et dépouillé, une page de plus dans la littérature consacrée au grand Serge sur lequel, visiblement, tout n'a pas encore été dit.
Le Parisien, 7 Mars 1991
L'inconnue du cimetière connaissait les derniers secrets de Gainsbourg
Le Dauphiné Libéré, 2 Mars 2011
Le Gainsbourg d'Aude Turpault
Le Soir, 13 Mars 2011
La dernière muse de Serge Gainsbourg
Voici
Aude à Gainsbourg
Paris-Match, 21 Mars 1991
Aude fan fidèle
Paris-Match, 21 Mars 2021
Trente ans plus tard